
En cette année marquant les 80 ans de la Victoire des Alliés sur le nazisme, entraînant la Libération de la France, rappelons-nous qu’elle fut le fruit de l’association des Nations.
Or, l’équilibre du monde né de cette victoire est aujourd’hui remis en cause.
Les nations constituant cette coalition ne semblent plus, aujourd’hui, vouloir continuer à cheminer ensemble.
Alors, 80 ans après, que conserve-t-on de cette victoire ?
La liesse a laissé place à la morosité ambiante voire-même à l’anxiété que génèrent le contexte actuel et une grande incertitude sur l’avenir.
Un an après avoir commémoré, ici, ensemble les 80 ans de la Libération de Toulouse, le contexte politique national et international s’est détérioré.
Notre pays s’est installé dans une crise politique permanente, avec un pouvoir faible alors qu’il faudrait, au contraire, que l’autorité de l’État soit forte pour prendre des décisions à la hauteur des enjeux dans nombre de domaines majeurs.
Une situation qui n’est pas sans rappeler celle qui prévalait, il y a près de 100 ans, au début des années 30.
Aussi, je forme le vœu que les grandes figures de la Résistance, par le souvenir, par cette commémoration de leurs actes héroïques, nous transmettent le courage et l’engagement dont nous avons besoin aujourd’hui.
Nous sommes réunis d’abord pour honorer ces patriotes et ces militants internationalistes qui, à Toulouse, le 19 août 1944 au matin, ont donné l’assaut et commencé les combats insurrectionnels dans différents quartiers, chassant l’occupant qui tentait d’incendier la ville en quittant ses positions.
Le lendemain dans l’après-midi, Toulouse était libérée.
Si beaucoup de ces héros, sont restés anonymes, nous pouvons plus particulièrement distinguer Forain-François VERDIER, Marcel LANGER, Serge RAVANEL, Raymond NAVES, Jean CASSOU, Jean-Pierre VERNANT, Pierre BERTAUX, Louis PELISSIER, Pierre BENECH, David ELBAZ, Jaime NIETO LOPEZ, Francisco PONZAN-VIDAL, Silvio TRENTIN, et tant d’autres…
Comment, en 2025, nous inspirer d’eux dans un monde redevenu instable et dangereux, alors que les empires se reconstituent comme autrefois, nouant des alliances cyniques sous l’impulsion de dirigeants politiques qui ont en commun des penchants autoritaires et une volonté hégémonique ?
Le grand changement géostratégique, pour nous, les Français, c’est que notre vieille alliance transatlantique, longtemps basée sur des valeurs de civilisation communes, est devenue aléatoire, obéissant désormais avant tout à une logique matérialiste, à un marchandage économique et financier. Il s’agit là d’un bouleversement majeur, aux conséquences considérables, qui nous oblige à des révisions déchirantes.
C’est aussi cela que je retiens de mon déplacement à Kyiv il y a quelques mois, pour le cinquantenaire du jumelage qui unit nos deux villes.
Sur le terrain, j’ai vu les dégâts causés par les bombes qui s’abattent là-bas, aux portes de nos frontières, et la souffrance, la peur de nos frères et sœurs ukrainiens. Mais j’y ai vu aussi l’esprit de résistance, le courage – à la vérité extraordinaire – la résilience, la solidarité, la force que procure l’amour de son pays.
J’ai pu constater aussi l’immense espoir mis dans l’Europe, à travers la diplomatie et la fourniture d’armement notamment, mais pas seulement.
Plus que jamais, j’ai la conviction que la seule voie de salut, pour notre pays et pour nos valeurs, humanistes et démocratiques, réside dans une Europe qui serait capable de s’unir sur l’essentiel, en particulier pour sa sécurité. Car, ne nous racontons pas d’histoires, la France seule ne pourrait peser comme autrefois. Malgré ce que crient haut et fort les nationalistes qui, partout sur le vieux continent et ici même, sous les couleurs de l’extrême droite, reprennent dangereusement du poil de la bête, profitant du désarroi des peuples.
L’Europe doit enfin devenir adulte, se prendre en main, pour bâtir d’elle-même une défense européenne.
Et ceci suppose deux grandes évolutions.
D’abord un changement d’état d’esprit, l’abandon d’une forme ancienne de pacifisme naïf rappelé par l’amiral GUIILAUD, ancien chef d’état-major des armées françaises, affirmant « L’Europe désarme dans un monde qui réarme ».
Cela nécessite aussi, notamment chez beaucoup de nos voisins européens, l’abandon d’une confiance en forme de chèque en blanc donné aux États-Unis.
Le réarmement, ce n’est pas préparer la guerre – ce que ne manqueront pas de dire les ennemis du projet européen – il s’agit surtout de ne pas la subir.
« Se préparer à la guerre est l’un des moyens les plus efficaces de préserver la paix » disait George WASHINGTON.
Il s’agit de se réarmer, non dans l’optique de faire la guerre, mais pour recouvrer une partie de notre puissance collective et dissuader d’éventuelles agressions, dans un monde où resurgissent les conflits aux quatre coins du globe de multiples conflits.
Nous gardons en mémoire le sage précepte : « Si vis pacem, para bellum » / « Si tu veux la paix, prépare la guerre ».
L’Europe dont on nous avons besoin c’est une Europe forte qui pèse dans les équilibres mondiaux d’aujourd’hui, avec ses valeurs.
Car l’âme de l’Europe, ce sont ses valeurs, qui prennent racine dans les apports successifs de l’Histoire.
Et, en France, ces valeurs se confondent avec celles de la République.
Pourtant, depuis des années, la construction européenne ne fait plus rêver et montre ses limites.
Tantôt l’Union européenne est perçue comme une autorité réglementant à l’excès, tantôt elle incarne l’exact contraire : un laisser-faire ultra-libéral nocif. L’Europe est loin d’être vécue comme une protectrice et ce défaut majeur nourrit le procès que lui font les nationalistes de tous acabits.
Il est donc temps que l’Europe se dote d’une dimension politique, au sens le plus noble de ce terme, et bâtisse une vraie défense européenne.
Pour surmonter les divergences des états membres sur ce sujet, on peut imaginer que cette défense ne soit pas calquée sur le périmètre de l’Union européenne et qu’elle rassemble uniquement les états volontaires, avec le Royaume-Uni comme partenaire.
Une lueur d’espoir récente est apparue : la convergence de vue entre les dirigeants des trois plus grandes puissances européennes : la France, l’Allemagne sous l’impulsion de son nouveau chancelier et la Grande-Bretagne, malgré le Brexit, grâce à son nouveau premier ministre. Ainsi peut-on avoir des philosophies politiques différentes mais demeurer des alliés responsables.
Le Livre Blanc pour une Défense européenne, présenté en mars dernier, et le plan ReArm Europe, de 800 millions d’euros, dessinent d’utiles perspectives.
Bien sûr, l’ambition d’une défense européenne ne pourra se concrétiser que progressivement et au prix de multiples harmonisations, organisationnelles et technologiques. Cela exige de faire des choix politiques courageux et de les décliner sur le temps long.
Dans cette conjoncture nouvelle, Toulouse doit être, dans les années à venir, davantage encore qu’aujourd’hui, actrice de cette dynamique de défense européenne.
À l’heure du newspace, son pôle d’industrie et de recherche aérospatial concentre des savoir-faire de niveau exceptionnel, des compétences d’excellence, aptes à contribuer grandement à l’essor nouveau de notre défense.
Depuis peu, nous accueillons deux structures stratégiques :
- le commandement de l’espace de l’armée de l’air, avec son prolongement récent, la première base aérienne française à vocation spatiale, la BAS 101,
- et le centre d’excellence spatiale de l’OTAN.
Une autre difficulté, de taille, devra être surmontée : comment, malgré le difficile contexte économique, trouver les moyens budgétaires pour financer ce nouvel effort ? Ici, on sent bien qu’il est vain de vouloir bâtir une Europe puissance, où la France jouerait un rôle majeur, voire codirecteur, si nous demeurons incapables de rétablir une santé florissante des finances de la Nation.
Or, les pays comparables au nôtre qui ont redressé leurs finances publiques l’ont fait en construisant un consensus transpartisan, avec une trajectoire pluriannuelle respectée, par tous les gouvernements successifs, par-delà même les alternances politiques.
En France, avouons que nous sommes bien loin d’approcher une telle capacité d’intelligence collective ! Pourtant, il serait illusoire de penser faire entendre notre voix sur la scène européenne et internationale sans retrouver au plus vite l’équilibre des finances de l’Etat.
On le voit, les défis à relever sont multiples et immenses. Nous pouvons y arriver à condition de placer au-dessus de tout l’amour de la patrie comme le firent autrefois les héros de la période très sombre dont nous célébrons aujourd’hui l’heureuse conclusion. Et de mettre au second plan cette hyperindividualisme qui mine notre société et annihile les grandes ambitions de tout peuple.
Et, affirmons le haut et fort, nous pouvons être et patriote et pro-européen.
Pourquoi devrions-nous abandonner le terme « patriote » à la seule extrême-droite ?
C’est ce que nous dit Marc BLOCH, résistant, fusillé en 1944 en criant « Vive la France ! », et qui entrera au Panthéon l’an prochain.
Dans son livre « L’étrange défaite » il écrit :
« Je n’ai jamais cru qu’aimer sa patrie n’empêchât d’aimer ses enfants ; je n’aperçois point davantage que l’internationalisme de l’esprit ou de la classe soit irréconciliable avec le culte de la patrie ».
Notre société actuelle a perdu, par bien des aspects, le lien entre l’amour de notre nation et les Français.
L’amour de notre pays n’appartient pas au sectarisme d’un extrême, et ne peut souffrir d’un injuste rejet motivé par le cynisme électoraliste d’un autre extrême.
L’amour de notre pays c’est un bien commun à protéger.
Il est à protéger face à ceux qui veulent façonner une nouvelle France en attisant les braises d’une guerre civile qu’ils semblent attendre de leurs vœux, en tenant un discours d’inversion des valeurs, en cherchant à diviser plutôt qu’à rassembler.
Ceux-là brandissent les drapeaux du régime fondamentaliste iranien dans les manifestations de l’extrême-gauche, inspirent les tags et les dégradations dans l’espace public visant autant les forces de l’ordre que les élus, se montrent complaisants envers l’islamisme, cautionnent les discours anti-France et nourrissent l’inquiétante résurgence de l’antisémitisme – incroyable régression par rapport à tout ce que nous célébrons en ce jour.
80 ans après la libération des camps, nous devons être intransigeants face à ceux qui feraient en sorte que l’Histoire – dans ce qu’elle a eu de plus sordide – se répète, ou plutôt, que nous la laissions se répéter.
Si nous laissions faire, à quoi cela servirait-il de se réunir aujourd’hui pour cette commémoration ?
Comment le maire que je suis, de notre ville si viscéralement attachée aux valeurs de la République, pourrait-il fermer les yeux et se taire « pour ne pas faire de vagues » lorsque des députés toulousains font une proposition de loi pour abroger le délit d’apologie du terrorisme inscrit au code pénal ?
Quand les mêmes votent contre la libération de Boualem SANSAL ?
Puis contre la loi pour renforcer la sécurité de nos soignants ?
Et encore contre la proposition de loi contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur ?
Oui, mes chers concitoyens, comment le maire que je suis pourrait-il participer à cette si importante cérémonie du 19 août et garder le silence – piteusement – face à tout cela ?
M’adresser à vous aujourd’hui, pour la dernière fois du mandat municipal en cours, est l’occasion de vous redire ma conviction – profondément chevillée en moi et que je mets en œuvre modestement mais sûrement à l’échelle de notre Métropole en associant à sa gouvernance des familles politiques différentes de la Droite, du Centre et de la Gauche – ma conviction, l’ampleur des défis existentiels que notre pays doit relever, dans un monde incertain et dangereux, exige une forme d’union nationale.
Et celle-ci ne sera possible qu’à condition de bâtir un barrage républicain complet, complet cette fois-ci, non un demi barrage comme la dernière fois. Un barrage républicain complet envers les extrêmes. Les deux, pour repousser tout à la fois et avec la même vigueur le nationalisme et le mélenchonisme. Les échéances électorales de 2026 et de 2027 seront cruciales à cet égard.
Il s’agit de renouer avec la méthode et l’esprit du Conseil National de la Résistance, en excluant les extrêmes et sans récupération politique des uns par les autres. Il s’agit de dessiner ensemble des solutions solides pour les grands sujets d’avenir de notre pays et de notre peuple.
Je crois, très sincèrement, que c’est aussi cela le message du 8 mai 1945 et du 19 août 1944.
Vive l’esprit de la Résistance, vive la France et vive Toulouse !
*Discours du 19 août 2025 – Seul le prononcé fait foi